L’art pour dépasser la souffrance psychique
Reportage:
L’association « Arts Convergences » grâce à ses projets, ses ateliers se propose de révéler au public des talents.
Non loin de la gare de Versailles Chantiers, des artistes en souffrance psychique se retrouvent au Groupe d’entraide mutuelle [GEM] pour exercer leurs talents et exprimer leur créativité. C’est ici que l’association « Arts Convergences » [A.C.] organise des ateliers hebdomadaires. Le lieu est convivial et lumineux. Une grande baie vitrée laisse entrer les rayons du soleil à leur guise.
Ce lundi 10 mai, Bertrand, directeur retraité de l’école des beaux-arts [EBA] de Versailles m’accueille chaleureusement. Avec lui, Arielle assure l’encadrement artistique et Audrey veille à la bonne organisation des ateliers.
Dès leur arrivée à l’atelier, les artistes se
mettent à leur ouvrage. Pour la plupart,
c’est lors d’une hospitalisation, qu’un psychiatre a remarqué leur talent
artistique et leur a fait connaître l’association.
Autour d’un café, une discussion s’établit avec les encadrants.
Bertrand, d’une voix posée, donne
l’idée fondatrice d’A.C. : « En dehors du parcours des soins, on se
préoccupe du suivi de personnes qui ont des talents artistiques et des
problèmes d’ordre psychique. On a voulu créer une interface entre le monde des
arts et monde de l’Hôpital ».
Ces ateliers sont la première
émergence d’A.C. Un autre projet d’envergure « D’un commun
accord » se prépare à Plaisir en partenariat avec le château de Versailles et porté par des artistes renommés. Des personnes en difficulté psychique y sont
impliquées dans la réalisation d’une œuvre collective mi-sonore, mi-plastique. Arielle, enthousiaste : « C’est une
belle expérience qui fait évoluer l’association ! »
Attentionnée, elle s’active auprès
des artistes plongés dans leurs réflexions en leur prodiguant des conseils et aides
matérielles. Arielle a intégré l'Ecole Nationale Supérieure d'Arts de Paris-Cergy en septembre dernier et se destine à devenir
commissaire d’exposition dans des cadres alternatifs.
Concernant l’accompagnement
artistique, Bertrand explique : « Il faut que ce soit le plus
libre que possible, qu’il y ait une dynamique de l’envie. Encourager le germe
de chacun. C’est-à-dire proposer des exigences, mais pas d’emblée. Les personnes
viennent ici spontanément, sans inhibition, riches de leurs expériences, on va bâtir
là-dessus ».
Arielle, les yeux qui brillent,
ajoute : « Ici c’est un point de ralliement, six à dix personnes
participent à l’atelier chaque semaine. Si quelqu’un a envie de faire quelque
chose de totalement diffèrent, loin de la peinture, du dessin, on est très
ouvert. » Prochainement, une séance décloisonnée est prévue à l’école
des Beaux-Arts de Versailles, l’occasion, dans un autre lieu, d’avoir accès à d’autres
moyens.
« Je viens emprisonner l’air »
Nous passons voir le travail des
artistes. Bertrand, les mains dans le dos, observe, commente, propose.
Alain, assis dos à la verrière
dessine une perspective architecturale sur des calques : « Je fais
ressortir les volumes avec la luminosité, les parties en ombre, c’est donc un
jeu d’espace, par exemple là, il y a un rapport entre le vide et la matière, je
viens emprisonner l’air ». Méticuleusement, il crée des croquis
qu’après il met en scène avec des collages. Récemment, Il a vendu un tableau et
aimerait vivre de ce travail. « C’est bien quand on travaille et qu’on
est récompensé à la fin. J’ai le statut d’auto-entrepreneur pour cela ».
Alix, sur du papier Canson A3 tire
des traits à la règle, il prépare au crayon une toile : « C’est ma
manière de faire, c’est mon tempérament, d’être comme ça et d’agir comme ça. Je prépare un croquis et ensuite vient le
moment où je peins avec mes couleurs et à ce moment j’ai une autre manière de
faire qui n’est pas préparative qui est beaucoup plus lâchée, libre mais qui
agit fermement sur le sujet. Là, je laisse parler mes sensations en observant
le trait du pinceau, en faisant exprès des coulures. » Titulaire d’un
bachelor de cinéma, il a réalisé des animations didactiques médicales qu’il
me montre sur sa chaîne YouTube.
Tancrède, appliqué, en train
de reproduire à l’encre de Chine une estampe japonaise « J’ai fini mon
hospitalisation à Charcot, c’est mon docteur qui m’a dit de venir à A.C. Il
a vu que je dessinais tous les jours et m’a dit : « si tu aimes ça tu
peux aller là-bas ». J’aime bien dessiner des immeubles et des personnages
d’une manière graphique et les colorier, un peu comme dans l’art naïf haïtien.
Quand je suis tout seul à la maison je reproduis de l’art naïf. Il faut aimer la patience dans le dessin,
c’est surtout ça. Cette image avec des plantes, la nature, ça me rappelle
des souvenirs. »
Arielle regarde dans la
bibliothèque du GEM s’il y a des livres d’art naïf puis lui donne quelques
conseils à propos des proportions du personnage et ajoute : « j’aime
bien l’expression que tu lui as donné, je lui trouve un air surpris. »
« L’art c’est pour se faire du bien, sinon ça n’a aucun sens. »
Par un escalier métallique on
accède au sous-sol. La lumière artificielle contraste avec celle du rez-de-chaussée. Vincent, Alexandra et Victor y travaillent.
Vincent, membre depuis 4 ans, est
debout, robuste face à son chevalet : « J’ai vu une forêt. J’ai
voulu faire des tours abstraites entre lesquelles j’ai glissé le soleil, il est
en même temps devant et derrière. On est sur terre comme sur mer, ces tours
pourraient être des poteaux d’ostréiculture. » Un hippocampe jaune
confirme l’idée. Il jauge sa toile en
penchant la tête, puis se rapproche en fredonnant La dernière séance d’Eddy Mitchell
et ajoute délicatement une touche à la toile : Des oiseaux bleus
s’envolent de bulles. Avec des yeux rieurs au-dessus de son masque covid,
il ajoute : « L’art c’est pour se faire du bien, sinon ça n’a aucun
sens. »
Juste à côté, discrète, concentrée,
Alexandra donne des couleurs chatoyantes à sa toile. L’effet est là, qui
agrippe les pensées.
La dernière séance …de modelage
c’était pour Victor, il quitte l’atelier pour suivre une formation de web
designer. S’approchant de moi : « J’ai fait les petites têtes
en terre qui sont là, j’ai tout appris sur le tas. Vous voyez, on travaille la
matière avec les mains » « ou une mirette (petite spatule) »,
précise Bertrand. Victor : « Avec les mains c’est plus intuitif. Voulez-vous essayer ? » à
l’aide d’un fil, il coupe un pain de terre qu’il me tend. « Il ne faut
pas hésiter à mouiller, malaxer la terre et chercher une forme un peu comme un
nuage, un faux caillou. Pour une première c’est bien, c’est un Shiba Inu (Chien
Japonais) que vous avez fait ?»
De retour à la surface (rdc), on entend les intentions de chacun pour le prochain atelier. Les deux heures d’évasion se sont écoulées, les outils sont rangés, les œuvres ont progressé, on se dit à lundi.