Un jour comme un autre au tribunal de Paris

Compte rendu d'audience:

"Ils vont payer pour leur butin"

Porte de Clichy, un imposant bâtiment formé de 3 blocs de verre empilés, c’est le tribunal de Paris, les affaires s’y enchainent du lundi au vendredi, des actions y sont jugées, des vies basculent.

13:30, au sixième étage, des robes noires, des familles, des curieux pénètrent dans la 23-ème chambre section 2. Procureure, avocats, greffes décontractés vont et viennent, scrollent sur leur smartphone. La juge et ses deux accesseurs entrent, on se lève. L’audience est ouverte.

Première affaire, Mr Acoste*, en visio-conférence car emprisonné, écoute la juge : « Harcèlement physique et sur les réseaux sociaux de Domi son ex compagne, mère de ses enfants ». Elle indique les points de personnalité : Sans domicile fixe, perte de ses parents et de son petit frère, élevé par sa sœur, traitement contre l'addictologie, conscient de sa situation, aucune garantie de représentation.  Quand elle lui donne la parole, bras croisés, il s’exprime hâtivement « Je suis sans profession, je souffre. Franchement, c'est dur de ne pas savoir comment vont vos fils. Je m'engage à être présent aux audiences ».

La procureure debout, égraine les récidives et précédentes condamnations et achève en relevant ces lunettes : 15 mois de détention provisoire. Son avocat au débit rapide, tente de tempérer, « ce qui compte pour lui, c'est ses enfants, vous devez apprécier, étant à la Santé, il n'a pas le droit de parler à madame et ses fils. La détention ce n'est pas un luxe, j'ai une place d'hébergement », il propose : 150 heures de TIG Travaux d’intérêt général.

Plus tard, à l’issue des délibérés on entendra : « Coupable, condamné à 6 mois de détention provisoire ».


Une quinzaine d’affaires ont été traitées, la plupart liées à la drogue. La juge, se relâchant, confie « j’ai gardé cette affaire pour la fin » puis articulant derrière son masque noir anti-covid : « Soustraction de colis à un livreur d'Amazon avec gifles et balayette, 5 personnes fortement alcoolisés, dans une C4 Citroën accompagnent l'un ami au commissariat de police en vue de son incarcération, l'occasion de faire la fête.

- Version Livreur, corroboré par la photo d'un témoin. Deux hommes le frappent et le volent. Il informe son chef et ses collègues ainsi que la police.
Une interpellation musclée s'en suit.

-Version Mr Leb et Mr Leco, masqués en survêtement dans le box, « sur la route il y avait des colis abandonnés, on s’est servi. Plus tard, deux camions nous ont barré la route, les chauffeurs sont venus nous tabasser et massacrer notre voiture. »

Sept colis sont retrouvés éventrés dans la voiture : Des couches Panpers, des jouets pour chien, des articles pour la confection de collier de perles.  La procureure se lève : « Cette affaire peut prêter à rire, c’est d’une débilité sans pareil, Ils vont payer pour leur butin, leur défense est ridicule. Fait de vol en réunion : 8 mois avec sursis probatoire, 105 h de TIG, Interdiction de conduire. »

L’avocat, les bras au ciel : « C'est bien fait ! Ce n'est pas un message acceptable de la part de l'institution publique ! Ce livreur a organisé une vendetta. Pas un mot des violences qu'il a subi. Pourquoi n'a-t-il pas été auditionné ?  Les violences ont-elles eu vraiment lieu ? Je n'ai pas confiance en sa déposition :  Sursis simple.

21:15 :  Coupables, 4 mois avec sursis et 70 h de TIG. » 

Le bâtiment c’est vidé de ses humains, dans l’ascenseur, deux jeunes en veulent à un avocat. Demain : 13:30, au sixième étage, des robes noires, des familles…


François Valette

 

*Les noms des personnes citées ont été modifiées.